ALLOCUTION DE S.E. MOUSSA FAKI MAHAMAT PRESIDENT DE LA COMMISSION DE L'UNION AFRICAINE

Excellence Monsieur le Président du Conseil Militaire de Transition, 

Monsieur le Premier ministre de transition,

Monsieur le Président du Conseil National de Transition,

Messieurs les membres du Conseil Militaire de Transition

Monsieur l'ancien Président Goukouni Weddeye,

Mesdames, Messieurs les membres du Gouvernement,

Messieurs les anciens Premiers ministres,

Mesdames, Messieurs les Présidents des grandes institutions de la République,

Monsieur le Représentant de l'Etat du Qatar, 

Mesdames, Messieurs les Représentants des pays amis du Tchad,

Mesdames, Messieurs les membres du Corps Diplomatique,

Mesdames, Messieurs les membres du Conseil National de Transition, 

Chers frères et sœurs participants au Dialogue National Inclusif et souverain,

Distingués invités,

Mesdames, Messieurs,

J'éprouve un immense plaisir de me trouver aujourd'hui devant vous à l'occasion de cette rencontre historique visant à ouvrir une nouvelle ère pour le Tchad. Je ressens également une profonde émotion de revivre, près de trois décennies plus tard, dans cette même salle, les souvenirs émouvants de ma participation, à un autre âge, à la Conférence Nationale Souveraine de 1993.

C'est l'occasion pour moi de saluer la mémoire de toutes les grandes figures de la politique tchadienne aujourd'hui disparues, mais dont nous n'oublions pas les interventions passionnantes et passionnées, ni la remarquable contribution à ladite Conférence.

Je viens aujourd'hui vous apporter les salutations fraternelles et les souhaits de l'Union africaine pour un succès éclatant de vos assises. 

L'espoir de toute l'Afrique est de vous voir, enfin sortis, de votre sempiternelle crise, des risques de fragmentation et de misère politique, économique, sociale, morale, culturelle et intellectuelle.

Le prédialogue que l'Etat du Qatar a, si généreusement abrité et facilité, avec une louable patience fut une remarquable contribution pour préparer vos assises d'aujourd'hui. C'est le lieu pour moi de renouveler à l'Etat du Qatar et en particulier à l'Emir Tamin ben Hamad al Thani nos vifs et sincères remerciements. 

Le mérite revient surtout au Président du Conseil Militaire de Transition, Général Mahamat Idriss Deby Itno ainsi qu'au gouvernement dont les efforts ont été constants dans la préparation de ce Dialogue.   

Cependant, je ne peux que regretter ici l'absence à ces assises de plusieurs acteurs politiques, sociaux et politico-militaires. L'Union africaine n'insistera jamais assez sur le caractère inclusif et consensuel du processus de transition au Tchad. 

C'est pour cette raison que j'appelle, les uns et les autres, au dépassement pour s'inscrire dans cette logique d'inclusion et de réconciliation véritables. Il n'est donc pas trop tard pour ces acteurs absents de se joindre au dialogue afin de l'enrichir de leur contribution. Il est également sage et souhaitable que les participants continuent de  s'ouvrir sans réserve aux absents.

Avant de continuer, je voudrais préciser que je m'adresse à vous à cet instant, à un double titre : celui de Président de la Commission de l'Union africaine, mais aussi en ma qualité d'enfant de ce pays qui partage avec chacun de vous les souffrances endurées par le passé, les inquiétudes du présent et l'espoir d'un avenir meilleur. 

C'est pourquoi, j'utiliserais dans mon propos indistinctement les pronoms ‘vous' et ‘nous' pour exprimer cette ambivalence.

Mesdames, Messieurs,

Mes chers compatriotes,

Tous ceux qui ont assisté à la Conférence nationale souveraine se rappellent qu'à l'ouverture de celle-ci, des armes ont été brulées pour symboliser la volonté de mettre définitivement fin au recours aux armes comme moyen de conquête et de conservation du pouvoir.

Cette Conférence a rassemblé, je le rappelle, tous les partis politiques, toutes les corporations, toutes les tendances de toutes les obédiences, venues de toutes les régions du pays. Elle a passé au crible la gestion de tous les régimes, de Tombalbaye à Deby, en passant par Malloum, Goukouni et Habré. 

Elle a adopté un Cahier des charges qui prévoyait entre autres l'élaboration et l'adoption des textes fondateurs, dont une nouvelle constitution, un code électoral et une charte des partis politiques. En dépit de l'incontestable succès de la CNS, la crise a perduré. Elle s'est même accentuée, car le sang n'a pas cessé de couler.

Il est profondément regrettable de constater qu'après trois décennies, nous nous retrouvons dans les mêmes, voire pires conditions de tension et de recours à la force et à la violence pour tracer nos trajectoires politiques et pour écrire l'histoire de notre pays.

Trente ans après, nous voilà de nouveau revenus à la case départ pour un autre dialogue sensé réconcilier les tchadiens et bâtir un Tchad nouveau. Espérons que cette fois sera définitivement la bonne.

Vous voici à nouveau face à vous-mêmes, face à cet éternel témoin, l'histoire ; cette histoire immuable et changeante que penseurs, philosophes, artistes et autres orfèvres du temps ont adulée autant que redoutée.

 La voici aujourd'hui, à nouveau, à votre écoute attentive, elle qui, ces derniers soixante ans, vous a tant provoqués, déroutés, aveuglés, pris de court, et parfois failli vous anéantir. Vous voilà aujourd'hui devant elle pour vous juger et vous sentencier.

Dans ses turpitudes comme dans vos interminables corps à corps avec elle, l'histoire, une fois encore vous rassemble, non pour cette sempiternelle œuvre de Sisyphe à laquelle nous a habitués l'évolution politique du Tchad, mais pour l'élaboration d'un solide contrat à durée illimitée d'un Tchad de justice, de paix et de progrès.

En effet, combien de dialogues avons-nous organisé ? des accords signés ? Combien de réconciliations et de retrouvailles avons-nous célébré ?

A combien de trahisons, d'abandon et de rupture de ban avons-nous assisté ? Je serais, comme chacun de vous, incapable d'en dresser l'inventaire.

 Je sais seulement avec certitude que nous tous ici dans cette salle, avons assez de voir le Tchad en crise. Les Tchadiens de l'intérieur comme ceux de la diaspora en ont assez de la guerre. Tous nos amis dans le monde en ont également assez de nous voir continuer de livrer cette si peu glorieuse image du beau pays de Toumai.

Les tchadiens ont montré une incomparable capacité d'endurance et de résilience face à toutes les épreuves qui ont jalonné l'histoire de leur pays et affecté leur vie quotidienne. Ils aspirent plus que jamais à être gouvernés autrement. Ils veulent enfin vivre et s'épanouir dans un État ou le travail, la justice, l'abondance, la quiétude, la tolérance et la joie seront désormais leur quotidien.

Sachez tenir compte de cette profonde et légitime aspiration.

Mes chers compatriotes

Comment oublier que notre joie de devenir indépendant n'a été que si éphémère ?

Le régime de parti unique a été imposé et le pluralisme interdit deux ans seulement après l'indépendance. Le drame de Mangalmé suivi de peu par la création du Frolinat donnèrent le signal de l'accélération des évènements. Le pays entra alors dans le cycle infernal de violences jusqu'aujourd'hui.

Combien de rebellions, combien de mouvements, tendances et groupes armés ont-ils été créés au Tchad ?

Combien de vos enfants sont morts dans la vanité, par la vanité, pour la vanité, l'absurde et l'absurdité ?

Combien de mères sont devenues veuves et d'enfants devenus orphelins depuis la première rébellion jusqu'à celle qui a emporté feu Idriss Deby Itno, paix et félicité sur lui.

Le sort de la plupart des dirigeants du Tchad illustre bien la longue tragédie vécue par notre pays. Les deux Présidents qui ont le plus longtemps gouverné, NGarta Tombalbaye et Idriss Deby Itno, ont connu une fin tragique. Tous les autres, à l'exception de Lol Mahamat Choua – Dieu ait son âme – ont vécu longtemps en exil.

Ce parcours de notre pays, singulier autant que funeste par moment, interpelle chacun de nous.

Il est grand temps de stopper la spirale de la violence, les guerres, les rebellions et la préférence de la force comme voie archaïque d'accès au pouvoir et de conservation de celui-ci. Il n'y a point de salut, ni gloire, ni prospérité pour la nation tchadienne dans une voie pavée de haine, de luttes barbares, de douleurs, de destruction et de trépas.

La résurrection du communautarisme est un vrai cancer pour ce pays connu jusqu'à une époque récente, pour la cohabitation pacifique de toutes ses communautés. 

Aucune communauté, aucun groupe, aucun parti ne peut désormais à lui seul prétendre gouverner ou diriger ce pays.

Aucune entité, quels que soient sa force, ses ambitions, ses atouts actuels ou potentiels ne peut prétendre gouverner seul ce vaste pays, complexe, divers et diversifié. Votre grand défi aujourd'hui est de construire le vrai consensus national avec intelligence, fraternité, respect, équité et justice.

N'écoutez pas les faussaires invétérés en sociologie de la haine.

N'écoutez pas ceux qui cherchent à vous diviser en chrétiens et musulmans, en citadins et ruraux, en agriculteurs et éleveurs, en ethnies et tribus rivales, se regardant éternellement en chiens de faïence, dents et griffes sorties pour mordre et manger la chair du voisin.

N'écoutez pas ceux qui vous disent que l'honneur, la dignité et la gloire sont dans la revanche, la vendetta et le droit du sang. 

Ceux-là vous ont menti, vous ont trompé, vous ont vendu des illusions et des chimères de lendemains meilleurs.

Et puis, réfléchissons ! Pendant soixante ans, nous avons directement ou indirectement expérimenté ces voies de l'erreur, de la déroute morale et de la perdition nationale. N'est-il pas dès lors temps d'explorer une nouvelle voie, de nouvelles pistes pour le futur ?

La rationalité et la sagesse ne nous laissent point d'échappatoire. Ce dialogue National inclusif et souverain nous en donne l'occasion.

Chers frères et sœurs,

Le changement de notre gouvernance, de la doctrine et de nos méthodes de gouvernement, de la structure des forces politiques et sociales, appelées à porter de tels changements sont des questions existentielles.

La paix, la stabilité, la survie du Tchad sont à ce prix. C'est l'unique voie pour couper court aux graves divisions, aux menaces de chaos, aux règlements de compte, aux rebellions, à la guerre civile.

Je crois dans mon intime conviction que le Président Idriss Deby Itno était dans cette logique. Le témoignage que je vais vous livrer ici l'atteste.

Le 15 Avril 2021, j'étais convié à un iftar par feu le Maréchal Idriss Deby Itno en même temps que plusieurs personnalités, notamment l'ancien Président Goukouni Wedeye, le Président de la Cour Suprême, Samir Adam, l'ex Président de la HAMA Dieudonné Ben Djonabaye, l'ancien Président de la CNDH, Djidda Oumar et quelques Officiers généraux. Après la prière du Maghreb, le Président sortit un téléphone sur lequel il nous montra les positions des colonnes rebelles au Nord et à l'Ouest de Faya Largeau.

Il nous dit que ces colonnes se dirigent vers le Kanem.

Il ajouta tristement que « le sang va couler, je ne veux plus que le sang des Tchadiens coule encore »

S'adressant à un des Généraux présents, il lui demanda : « est ce que vous avez pris contact avec ces jeunes ».

« On a essayé, mais sans suite », répond le général.

L'aversion du Président Idriss Deby itno pour le sang, le combat meurtrier et la guerre était palpable ce soir- là.

Il était pourtant d'un courage et témérité légendaires. La mort et les risques de mort étaient ses meilleurs compagnons. Il avait une intime relation avec eux. Pourtant son aversion pour la guerre et le sang était à son comble.

Puissent son sang et le sang de centaines et de milliers d'autres tchadiens nous inciter à tirer la seule et vraie leçon de notre histoire qui vaille : enterrer la hache de guerre et se tourner résolument vers la réconciliation, la paix, l'harmonie et la démocratie. 

C'est le seul authentique horizon de la rédemption, de la renaissance, et de l'émergence.

Vous voulez décider dans le sens de l'histoire et dans l'intérêt supérieur du peuple tchadien ? Alors décidez dans ce sens. Vous voulez continuer à tourner en rond ? Alors allez-y, têtes baissées à faire comme avant, ignorant les exigences d'une population longtemps silencieuse. C'est si simple et si terrifiant à la fois.

L'Union Africaine ne peut rien contre votre volonté, ni contre la volonté d'aucun peuple africain. Elle peut simplement vous accompagner dans vos choix lorsqu'ils sont en conformité avec ses principes et décisions. Mais dans la voie de votre ressaisissement et de votre sursaut sincère et patriotique, elle est prête à tout mettre en œuvre pour le salut de votre grand pays et de son merveilleux peuple.

La mise sur pied du groupe de contact international pour accompagner votre transition est une initiative que nous avons la ferme intention d'amplifier par son élargissement à de plus en plus d'acteurs et segments de la communauté internationale. Il vous revient cependant d'inventer les positions et comportements aptes à nous faciliter cette mobilisation d'une communauté internationale aujourd'hui, quasi unanime, sur un cheminement respectueux des principes fondamentaux auxquels le peuple tchadien est si profondément attaché, lui qui a tant consenti pour leur émergence et leur consécration.

N'Djamena, le 20 Aout 2022


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