Pour avoir vécu sur deux continents (Europe-Afrique) et consacré l'essentiel de ma vie aux problématiques de développement économique et social, je me suis forgée une conviction selon laquelle, la France n'est pas l'ennemi de l'Afrique.

La France est une puissance hégémonique qui agit comme telle partout où elle se trouve. Comme toute puissance, elle s'assure de rechercher et de protéger avant toute chose ses intérêts. Comme toute puissance, elle est consciente du rapport de force qui lui est favorable.

A travers les siècles, chaque puissance hégémonique s'est assurée de mettre en place une stratégie visible ou invisible, bruyante ou silencieuse, lui permettant d'assurer la rentabilité de ses actions même caritatives.

Ma conviction est donc que la France ne déteste pas l'Afrique mais agit en Afrique comme la puissance qu'elle est. Quoi de plus normal. Pour s'être autant implantée en Afrique, elle a juste été plus futée et tactique que les autres puissances (coloniales ou non).

Alors, casser ses intérêts directs et/ou indirects est infructueux et contre productif de mon point de vue. Je reste convaincue que "le tout sauf la France" n'est pas une stratégie en l'état et ne nous conduira jamais au développement économique et social (toujours en l'état).

Je l'affirme sans grand risque de me tromper car la stratégie de l'improvisation n'est pas une stratégie de développement.

Nous voulons remplacer un tuteur par un autre sans un minimum d'autonomie réelle. Ceci alors même que nous savons que les puissances ont certes divers moyens d'action, mais un seul et même but (leurs intérêts).

Quelle autonomie pour nous dans un tel scénario ? Quel développement ? Depuis quand chasser la France pour la Chine ou la Russie est-elle devenue une stratégie de développement ? Je m'interroge.

Aujourd'hui plus que jamais, nous pouvons constater que les Français ont besoin de partenaires africains à la hauteur des enjeux du siècle présent et des problématiques telles que l'immigration ou le climat.

Voici une brèche majeure qui peut nous permettre de reconstruire avec plus efficacité notre position de partenaire de la France et de l'Union européenne. Un partenaire qui prend pleinement conscience de ses atouts incontestables et décide de les mettre enfin à son avantage. Un partenaire qui prend aussi et surtout conscience de ses faiblesses historiques et décide de les combattre seul comme un grand. Ce n'est ni la France ni une autre puissance qui fera ce combat pour nous.

Sans ce travail de fond sur nous-mêmes, le "tout sauf la France" ne conduira jamais au développement économique et social. J'en veux pour exemple, la monnaie qui remplacerait le FCFA sera elle aussi massivement pillée ou très mal utilisée.

En outre, quelle politique monétaire efficace allons-nous pouvoir réussir sans politiques d'exportations appropriées et rentables? Nous savons tous que nous brillons par notre incapacité à exporter autre chose que des matières premières, à stopper les importations de masses faute de productions locales. Quel développement espérer dans un tel cadre? Cette stratégie est-elle imposée elle aussi par la France ?

De toute évidence, le "tout sauf la France" ne pourra s'entendre que lorsque notre introspection aura abouti à un changement profond, réel et durable de nos politiques économiques et de nos habitudes de consommation.

Afin de nous présenter en partenaires sérieux, nous nous devons de mener avec efficacité, avant toute chose et à minima, les combats suivants :

- la corruption,

- les détournements de fonds publics et privés,

- la mal gouvernance,

- l'injustice,

- les exportations massives de matières premières.

- les importations massives de produits finis,

- la signature de contrats économiques mal maîtrisés,

- l'analphabétisme, l'illettrisme,

- etc.

Voilà selon moi, les combats préalables sans lesquels, nous ne pourrons être, quel que soit le scénario, des partenaires crédibles. Sans ce travail de fond, je crains que la "malédiction du dominé" ne continue de nous pourchasser collectivement comme elle le fait depuis déjà plusieurs siècles.

Alors, avant de casser les intérêts directs et/ou indirects français, exposez nous votre stratégie de développement. Mais de grâce, ne nous dites pas que chasser la France est en soi et en l'état une stratégie de développement pour l'Afrique.

Fraternellement.

Dr Me Ruth Carelle Nguemdom